Le mage renonça définitivement et reposa le livre qu'il essayait d'étudier vainement. Un nuage de poussière s'éleva de son bureau créant une minuscule bataille de particules lumineuses jouant dans le rai de lumière du soleil couchant.
Ses pensées ne lui permettaient pas de se concentrer comme il aurait aimé le faire. Et pourquoi d'ailleurs ? Pour fuir ? Pour éviter de se reposer encore et toujours les mêmes questions ?
Dehors, un oiseau gazouillait dans les arbres du parc. Il pensa un instant rejoindre le lac où il aimait autrefois flâner. Il chassa cette pensée aussi rapidement qu'elle est venue. Elle ne viendrait pas aujourd'hui non plus. Peut-être ne viendrait-elle plus...
Ses yeux se posaient sur une pile de documents qui, comme à son habitude, semblait posés en équilibre précaire sur une montagne de papiers et de livres posés au gré du temps.
L'écriture de Brendel...
Quelles idées pouvaient le traverser en ce moment ? La colère ? Le dépit ? La tristesse ? Sûrement un sombre panaché de tout cela. Que n'as tu rien vu venir mon vieil ami ! Pourquoi n'ai-je pu te conseiller quand il en était encore temps comme j'en avais l'habitude.
Le mage sorti une pipe et la bourra tout en ruminant contre lui-même. Il avait beau réfléchir, reprendre le problème par tous les sens, il n'arrivait pas à comprendre comment on en était arrivé là.
Durgen connaissait ses faiblesses. Mettre des stratégies au point, démanteler des raisonnements arcaniques, faire appel à la raison était ses armes favorites. Mais là, il s'agissait d'autre chose et il se sentait horriblement impuissant.
Il relu une dernière fois la lettre qu'il envoyait à Lord Brendel, fruit d'une trop longue après-midi de ratures, de correction et d'un monceau de tentatives accumulées dans la corbeille. Chaque mot, chaque phrase serait un éclat planté dans la chair.
Il se résolu à terminer le texte sans pouvoir en adoucir aucun des angles.
« Mon vieil ami. Je ne sais quels sentiments s'empareront de toi quand tu liras ces mots. Tu connais mon incapacité à faire en sorte que tu ne souffres pas plus que tu ne le devrais. Mais il me faut aujourd'hui assumer la décision qui me fait quitter notre ancienne communauté. Je ne peux que constater que quelque chose a changé, que quelque chose s'est rompu. Peut-être avons nous simplement atteint l'objectif qui était le notre de persuader les peuples de ce Monde de la menace qui plane sur nous ? Quoi qu'il en soit, Dame Lorelin, Tylnia et d'autres ont décidé de choisir un autre chemin. Tu sais tout comme moi que le différent qui en est la cause n'est qu'une broutille en réalité. Mais cette fois peu de voix sont venues apporter douceurs ou moqueries. Cette fois des voix se sont élevées les unes contre les autres sans que personne n'efface d'un sourire ou d'une boutade les éclats de mots trop acérés. Oui même moi vieux frère je n'ai rien fait de tel. Et si c'est ton désir tu pourras me le reprocher le restant de mes jours. J'ai failli à cette tâche. Et aujourd'hui j'ajoute encore à ton fardeau car je vais rejoindre ceux qui partent.
Ce choix, est difficile crois le bien mais je ne pourrai pas me passer de l'espiègle voleuse et d'une Lorelin qui est en train de changer.
Je te connais un peu rouquin. Je sais comme ta fierté naturelle qui est aussi ta force va en souffrir. Si je peux encore me permettre de te conseiller, ne laisse pas la colère et le dépit t'envahir. Ceux qui t'infligent ces tourments aujourd'hui ne sont pas tes ennemis. Ce sont des gens qui changent. Nous aussi nous avons changé. Mais ce qui nous a uni ne s'effacera pas à moins que nous ne le souhaitions tous. Et ce n'est pas mon cas.
Je voudrais aussi te mettre en garde. Tu vas me trouver sénile une fois de plus mais peu importe. La magie qui est la tienne va se nourrir de cette épreuve. Ne la laisse pas te consumer !
J'espère que mes pas rejoindront bien vite les tiens et ceux de ta brûlante Clarisse. Si les tiens te conduisent un jour près de la poussière de mes vieux livres, sache qu'une place t'es toujours réservée près de moi.
Ton vieil ami Durgen Medh. »
Le Mage reposa sa plume d'une main qu'il aurait voulu plus assurée. Posée sur le bord du bureau, la pipe s'était éteinte depuis longtemps.
Sujet: Fin de soirée chez Durgen 
Lun 19 Fév - 15:04
